Centre Pompidou, Paris
Dans le cadre de l’exposition « Paris Noir », deux sujets pourraient porter à débat.
1. L’impact positif de la décolonisation et du panafricanisme : Ce point de vue soutient que ces mouvements ont permis aux artistes noirs de revendiquer leur identité et de s’exprimer librement dans un espace culturel comme Paris, favorisant ainsi une nouvelle reconnaissance de leur art dans l’histoire européenne.
2. Les défis persistants de la représentation et de l’appropriation culturelle : Cette perspective souligne que, malgré les avancées, les artistes noirs continuent de faire face à des obstacles en matière de représentation et que leur travail est parfois approprié ou mal interprété par des artistes ou institutions dominants. Quel côté du débat prenez-vous et pourquoi ?
Contexte historique
- Année de départ : 1947
- Création de la librairie Présence Africaine
- Congrès des Artistes et Écrivains Noirs à la Sorbonne en 1956
- Période de lutte pour l’indépendance et les droits civiques
Paris, un espace de rencontre
- Lieu de dialogue entre artistes et intellectuels
- Cafés et clubs de jazz comme espaces de création
- Échanges entre écrivains, philosophes et artistes
- Exemple : James Baldwin et Beauford Delaney
La négritude
- Concept philosophique et artistique
- Valorisation de l’identité africaine et caribéenne
- Figures importantes : Édouard Glissant, Aimé Césaire
- Revendication culturelle et artistique
Le surréalisme revisité
- Wifredo Lam comme figure centrale
- Le surréalisme comme « arme de décolonisation »
- Réappropriation des références afro-caribéennes
- Reconstruction de l’identité artistique
L’abstraction artistique
- Redéfinition par des artistes afro-américains
- Influence du jazz sur le mouvement
- Artistes comme Ed Clark
- Techniques innovantes (ex : peindre avec un balai)
Retour en Afrique
- Mouvement des années 60-70
- Réinvestissement des pratiques culturelles africaines
- Artistes comme Papa Ibra Tall
- Création d’une iconographie syncrétique
L’art Caribéen
- Recherche d’une identité artistique
- Groupe Fwomajé de Martinique
- Exploration des racines africaines
- Artistes comme Ernest Breleur
Représentation du corps noir
- Évolution dans les années 80
- Valorisation et autonomisation
- Représentations culturelles (football, musique)
- Artistes comme Diagne Chanel
Mémoires et monuments
- Célébration de l’histoire noire
- Commémoration de l’esclavage
- Artistes comme Castillo
- Création d’espaces de mémoire
4. Surréalismes afro-atlantiques
À la fin des années 1940, l’artiste cubain Wifredo Lam rentre de Cuba, d’Haïti, de
République dominicaine et de Martinique et développe un surréalisme afro-atlantique qui est inspiré par la poésie de Césaire et par une redéfinition d’un surréalisme comme une arme pour les décolonisations. On le voit notamment développer une iconographie autour du totem, ce triple bouclier totémique qu’on devine dans l’oeuvre Umbral et qui va inspirer de nombreux autres artistes.
Cette iconographie à la fois politique et religieuse, inspirée de références afro-cubaines, se traduit dans le travail de l’artiste panafricain-éthiopien Skunder Boghossian, par exemple, qui développe dans ses peintures un totémisme fantomatique. Les expérimentations sculpturales d’Agustín Cárdenas, qui développe et décline le motif du totem, prennent aussi leur place dans cette réflexion.
[Eskil Lam, fils de l’artiste Wifredo Lam et co-auteur de son catalogue raisonné, évoque l’oeuvre de son père, Umbral, présentée ici]
Mon père Wifredo est venu une première fois à Paris, à la fin de la guerre d’Espagne, dans les années 1930. Il fait la rencontre de Picasso, qui l’introduit dans le monde artistique parisien. Il fait la connaissance aussi d’André Breton. Et ensuite, advient la guerre et l’exode.
Mon père est obligé de partir via Marseille sur ce fameux bateau qui s’appelle le Capitaine-Paul-Lemerle, qui l’emmène aux Antilles. Et à ce moment-là, il fait la connaissance d’Aimé Césaire, une rencontre capitale. Et il va passer les années de guerre à Cuba, où il va faire de grandes créations, comme son tableau principal, considéré comme son chef-d’oeuvre : La Jungle. Dès la fin de la guerre, en 1946, il rentre à Paris. Par la suite, il va faire beaucoup d’allers-retours entre Paris et La Havane et il revient de manière plus permanente à Paris au début des années 1950. Et là, il va se mettre à peindre tout une série de tableaux, dont fait partie Umbral, en rupture avec ce qu’il faisait avant.
Umbral va être un départ, puisque l’arrière-plan est plutôt monochrome. Il y a toujours
ces figures mystérieuses qui apparaissent. Et puis, il y a ces trois rhombes, trois doubles triangles, qui sont très caractéristiques de son oeuvre à partir de ces années-là. On dirait presque qu’il y a un côté géométrique qui s’impose et des pointes presque agressives, alors qu’avant c’était plus en rondeur.
Je dis que c’est un départ, mais en même temps, cette oeuvre reprend beaucoup des thématiques qu’il avait développées dans les années 1940 autour de la santeria. La santeria, c’est une sorte de syncrétisme vaudou des croyances africaines, du catholicisme, qui était particulièrement présent à Cuba. Et Umbral, veut dire « seuil ». C’est l’entrée d’une maison, mais ça peut être le passage entre deux mondes. Et il y a beaucoup de formes qui apparaissent dans ce tableau. Par exemple, des petites têtes rondes qui sont des Elegguás, qui sont des personnages de croisements qui, encore une fois, sont l’apanage de l’oeuvre de mon père
Solidarités révolutionnaires à Paris Dans les années 1960, Paris fonctionne comme un carrefour révolutionnaire d’intersection des luttes allant de la lutte pour les droits civiques, conduisant naturellement à Mai 68, au mouvement de solidarité autour de l’Algérie. Dans l’exposition, on se rend compte que Mai 68 se fait aussi l’écho des mouvements indépendantistes antillais. Les événements de Mai surviennent en effet un an après les émeutes indépendantistes de mai 1967 en Guadeloupe, et on voit par exemple, ici, l’artiste martiniquais René Corail, représenter dans son œuvre Le Souci, son incarcération à Fresnes à cause de ses idées indépendantistes. L’intellectuel américain James Baldwin avait vite identifié que le Noir aux États-Unis, c’est l’Algérien en France. Et on voit les solidarités noires autour de l’Algérie culminer lors du Festival panafricain d’Alger en 1969, où se sont réfugiés beaucoup d’artistes et d’intellectuels parisiens comme le psychiatre Frantz Fanon ou encore la cinéaste Sarah Maldoror, qui s’est ralliée, par son compagnon, le poète et militant angolais Mario de Andrade, aux luttes pour l’indépendance des pays lusophones.
Affirmations de soi À partir des années 1970, des formes directes d’affirmation de soi se déploient dans les œuvres des artistes. Le Martiniquais Henri Guédon utilise ses peintures à la fois pour dénoncer les crimes racistes, comme dans sa peinture KKK, et pour affirmer les corps noirs en action, comme chez les footballeurs qu’il représente dans son œuvre À la décatché. La photographe, mannequin et danseuse américaine Ming Smith s’autoperforme avec énergie dans la peau de Joséphine Baker et ses représentations affirmatives se multiplient, faisant monter en puissance l’autorité du corps noir, alors que Paris voit dans un même temps les premières manifestations antiracistes et que l’activisme anti-Apartheid bat aussi son plein. On le voit notamment dans la manifestation spectaculaire qui a lieu en 1986 et qui vient occuper la piazza du Centre Pompidou, qui est alors utilisée comme une place publique de contestation. [L’artiste française Diagne Chanel revient sur son tableau Le Garçon de Venise, peint en 1976.] J’ai commencé la peinture très tôt, j’ai d’abord fait les Arts appliqués rue DupetitThouars et ensuite, je suis rentrée aux Arts Déco, rue d’Ulm. C’est là que la véritable aventure de la peinture a commencé. À l’époque ce n’était pas très contemporain, puisque, en 1976, peindre, c’était considéré comme quelque chose de complètement obsolète. Le Garçon de Venise, est une toile extrêmement importante pour moi. Mon inspiration a toujours été la Renaissance italienne et j’ai été aussi tout de suite « obsédée » par la cité idéale et la représentation de ces perspectives très exigeantes, très esthétiques, avec ces sols au carrelage magnifique. Ça représente l’Occident. C’est profondément occidental, puisque c’est ma culture. Et la deuxième inspiration, c’est la peinture 17ᵉ siècle. Il y a autre chose aussi, pour moi, qui était très important, c’était la représentation du personnage en pied, ces toiles où le personnage occupe tout l’espace, et c’est le cas du Garçon de Venise. Mais, dans cette perspective et cette culture très classique occidentale, j’ai voulu poser un personnage qui, lui, ne l’était pas. J’ai peint un étudiant africain qui était là, aux Arts Déco et, à l’époque, c’est quelque chose qui passait très mal. D’abord, on m’a dit que c’était de la folie de peindre des Noirs, que jamais je pourrais vendre des peintures en peignant des noirs. Moi, ça me semblait très important, parce que métisse, née à Paris, ayant très peu de liens avec l’origine de mon père qui était sénégalais, j’ai toujours trouvé que la représentation des Métis et des Noirs était quelque chose qui n’existait pas, ni dans les films, ni dans les peintures, ni dans la littérature finalement. Je trouvais et je trouve toujours qu’il y a vraiment une force plastique dans cette peinture qui est comme une espèce de coup de poing artistique et, en même temps, c’est un plaidoyer, véritablement, pour la peinture. Ce personnage semblait interroger le spectateur. Et la question est : existe-t-il une place pour le fils de l’homme noir sur l’échiquier occidental ? Cette phrase, je peux la développer aussi en ce qui concerne le monde africain : existe-t-il une place pour le fils de l’homme noir, de la femme blanche sur l’échiquier africain et, finalement, l’échiquier international ? En 2022, Diagne Chanel publie un livre sur la question de l’invisibilité des Métis en Europe et en Afrique. Le titre du livre : Est-ce que ton pipi est noir ?, est tiré d’une remarque qu’elle a reçue, enfant, d’une camarade de classe. [Virgule sonore]